Le ‘modèle’ portugais : miracle ou mirage ?
Ces dernières années, dans les discussions sur les politiques en matière de drogues, le Portugal est régulièrement cité en exemple. La décriminalisation de l’usage de toutes les drogues, depuis 2001, en fait de loin le pays le plus avancé en Europe en matière de législation. Ce modèle de décriminalisation est par conséquent souvent mis en avant comme étant une réforme législative qui a largement amélioré la santé publique, l’ordre social ainsi que la santé et le bien-être des usagers de drogues. Mais qu’en est-il réellement ? Qu’implique précisément cette décriminalisation ? N’a-t-elle que des effets bénéfiques ? Une telle mesure suffit-elle ?
Récemment, INPUD – The International Network of People who Use Drugs, soit le Réseau International des Usagers de Drogues – a publié un rapport sur la politique des drogues au Portugal, intitulé « La décriminalisation est-elle suffisante ? – Échos de la communauté des usagers portugais ».1 Les analyses que l’on retrouve dans ce dossier nous semblent d’une importance capitale pour toutes les personnes sensibles aux politiques des drogues en Europe et à travers le monde. Ce rapport, rédigé en anglais, donne de nombreuses précisions sur le modèle portugais, souvent qualifié de « miracle » depuis sa mise en place en 2001. Il est vrai que le nombre de personnes atteintes du VIH/Sida a considérablement baissé (de 1.056 cas en 2001 à 56 dix ans plus tard), tout comme le nombre d’overdoses mortelles, qui est passé de 80 en 2001 à 16 en 2012. Mais comme l’indique INPUD (organisation londonienne de pairs-aidants usagers de drogues), l’intérêt et le plaidoyer pour le modèle portugais ne va pas beaucoup plus loin que cette analyse de chiffres par rapport au SIDA ou aux morts par overdoses. Les interactions avec les services judiciaires et policiers, les problèmes de violence, l’exclusion sociale, la stigmatisation et la discrimination sont régulièrement passés sous silence et ne sont que trop rarement abordés quand on évoque la décriminalisation au Portugal.
En 2016, INPUD a organisé différentes rencontres à Porto en collaboration avec des associations d’usagers de drogues telles que le CASO (Consumidores Associados Sobrevivem Organizados) afin que les témoignages des personnes directement concernées puissent être entendus et mettent en lumière l’entièreté des conséquences et résultats de ce fameux modèle portugais.
Que dit la loi ?
Avant tout, il nous semble utile de distinguer clairement la différence entre dépénalisation et décriminalisation, ces deux notions étant souvent évoquées sans qu’on sache exactement la différence entre les deux. Pour faire simple, la dépénalisation est une diminution de la sanction liée à un comportement qui reste interdit par la loi pénale (ex. : une amende au lieu d’une arrestation judiciaire). La décriminalisation va plus loin, c’est quand plus aucune peine n’est mise en application.
Alors qu’il est réputé avoir décriminalisé entièrement l’usage de drogues, le modèle portugais n’est pas aussi permissif ni progressiste qu’on le pense. Il s’agit d’une décriminalisation partielle et non totale, qui ne s’applique qu’à la possession d’une quantité limitée de drogues. La possession de quantités plus importantes amène encore, à l’heure actuelle, des répercussions légales.
Si je consomme de l’héroïne tous les jours, j’ai le droit d’avoir 1 gramme sur moi pour une semaine mais je me souviens qu’à l’époque où j’en consommais tous les jours, je fumais 1 gramme par jour et si la police m’attrapait et que j’avais 5 grammes sur moi pour la semaine, à ce moment-là je pouvais être considéré comme un criminel. On a le droit d’avoir 1 gramme d’héroïne, 1 gramme de cocaïne, 25 grammes de cannabis, 5 grammes de haschich. Si vous possédez plus que ces quantités, vous pouvez être considéré comme un criminel. (Un participant du CASO).
Le Portugal n’a pas légalisé les drogues
Bien que l’usage de drogues soit partiellement décriminalisé, la production et l’approvisionnement ne sont pas légalisés au Portugal. La distinction entre décriminalisation et légalisation est rarement interrogée dans le contexte portugais. Rappelons que la légalisation implique non seulement la fin de l’interdiction, mais également la mise en place d’une réglementation sur la production, la distribution et les modalités de consommation des drogues. L’absence de régulation des drogues signifie que dans un contexte de prohibition, les usagers de drogues au Portugal sont forcés de recourir au marché noir et ne peuvent évidemment pas connaître la composition des produits qu’ils consomment. Cela signifie donc qu’il peut toujours y avoir des produits de coupe toxiques ou des substances surdosées. Par ailleurs, se procurer des substances illicites oblige les personnes à être en contact avec des milieux clandestins et potentiellement dangereux. Ces milieux sont marqués par la violence et l’exclusion sociale et, par là, créent des barrières pour accéder aux soins de santé et d’assistance psycho-médico-sociale. Finalement, le système en devient presque paradoxal : alors que l’usage de drogue est partiellement décriminalisé, le modèle continue à renforcer les infrastructures de la prohibition. En agissant ainsi, il perpétue le crime, augmente les risques et les dangers tout en réduisant l’accès à la santé. Comme l’exprime un participant au groupe de parole initié par l’INPUD à Porto :
C’est contradictoire, parce que si ce n’est pas un crime d’acheter de petites quantités de drogues, vous devez quand même fréquenter des milieux criminels. Le modèle ne donne pas de solution à cette contradiction et c’est presque une position schizophrène : vous pouvez consommer sans pouvoir acheter !
Et un autre d’ajouter :
L’objectif doit être la régulation des drogues et non l’interdiction. Le gouvernement devrait fournir un contrôle de qualité et un accès à ces substances. A l’heure actuelle, on ne connaît ni la pureté, ni la qualité, et on ne sait même pas s’il s’agit vraiment de la substance qu’on pense avoir achetée. C’est donc un risque sanitaire qui entraîne des morts, des overdoses ou encore des mauvais trips comme quand par exemple vous pensez avoir pris du LSD alors que vous avez eu un psychédélique de synthèse. Parfois, vous avez de la très bonne héroïne alors que vous êtes habitué à une qualité plus faible et si vous consommez comme vous en avez l’habitude, vous risquez une overdose. Cela m’est déjà arrivé et ma femme a dû appeler les urgences.
Cela étant dit, il faut néanmoins souligner que les risques et autres dangers liés à la consommation de drogues au Portugal ont significativement diminué depuis 2001. Comparé à d’autres contextes où l’usage de substances illégales est toujours criminalisé, le Portugal est clairement plus sûr pour les usagers qui, pour la plupart, ne doivent plus autant craindre les risques d’arrestation et d’emprisonnement pour simple possession.
Ceci n’est pas anodin : les États qui perpétuent la criminalisation et la ‘guerre à la drogue’ connaissent de hauts taux de morbidité et de mortalité. Rappelons que les overdoses sont la principale cause de mortalité chez les Nord-Américains de moins de 50 ans, et qu’un grand nombre d’overdoses et de décès sont le résultat de la consommation de fentanyl et de carfentanyl à la place de l’héroïne en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Ces drames sont directement imputables à la prohibition et aux marchés noirs qu’elle suscite. Des gens meurent dans le monde entier à cause de la présence de produits dangereux dans la MDMA et les pilules d’ecstasy alors que ces drogues, lorsque leur composition est contrôlée, sont relativement sûres et ne présentent pas de très grands problèmes sanitaires en soi. L’échec du Portugal réside donc, comme dans de nombreux pays, dans le refus d’introduire une régulation du marché des drogues et, en conséquence, dans la persistance à mener une politique du risque sanitaire et d’absence d’une véritable vision de promotion de la santé. Pourtant, les ressources, les connaissances et les équipements permettant d’éviter ces morts sont disponibles, mais des usagers continuent néanmoins de mourir des effets de la criminalisation, de la prohibition et de l’exclusion sociale.
Le rôle de la police ?
La production et la vente de drogues étant toujours illégales au Portugal, certains milieux restent des cibles pour la police. Dès lors, les usagers peuvent eux aussi toujours être recherchés, arrêtés et harcelés par les services de police. Et sans surprise, les populations les plus pourchassées restent toujours celles qui sont pauvres et sujettes à l’exclusion sociale, et donc souvent privées de leurs droits essentiels. De plus, malgré cette décriminalisation partielle, la police confisque toutes les drogues trouvées lors des arrestations, et ce indépendamment de la quantité trouvée.
Si la police vous chope avec une dose, elle confisque tout et vous envoie à la commission de dissuasion, et même si vous avez une dose pour consommation personnelle, les policiers confisquent quand même. Il faut savoir que parfois les gens ont passé toute la journée à trouver 5 euros pour acheter une dose et si la police leur confisque cela, les usagers doivent parfois voler pour acquérir leurs drogues. Si les gens ont des produits pour leur consommation personnelle, ils devraient pouvoir les garder. C’est quand même étrange, ce n’est pas un crime… alors pourquoi la police confisque-t-elle mes drogues ?
Les populations les plus marginalisées restent donc une cible pour les services de police portugais. Cela se traduit le plus souvent par le harcèlement des jeunes et des personnes d’origine étrangère, pauvres et socialement marginalisées.
Violences et abus
Malgré le changement de législation au Portugal, les consommateurs sont toujours en proie à la stigmatisation et à la discrimination. C’est spécifiquement le cas avec la police et les autorités, qui devraient être sensibilisées aux principes de non-discrimination.
Les policiers et les forces de l’ordre manquent de formation pour appliquer la nouvelle législation. Une nouvelle génération des forces de l’ordre et de travailleurs sociaux doit être formée. Il faut qu’ils quittent cette attitude paternaliste envers les soi-disant victimes ou incapables de gérer leur vie. Il y a un travail énorme à faire en termes de stigmatisation et de préjugés, avec l’image de l’usager qui serait le mal incarné.
Il existe une véritable phobie à l’encontre du consommateur de produits illicites, qui n’est pas seulement le fait des forces de l’ordre. C’est l’ensemble de la société qui perpétue une idéologie moralisatrice qui stigmatise et exclut socialement les usagers. Cette exclusion se marque notamment par le déplacement des personnes usagères de drogues d’un quartier à un autre. Ainsi, certains élus n’hésitent pas à « nettoyer » leurs centres-villes pour que les touristes ne soient pas dérangés par la consommation de drogues. Le déplacement des usagers de drogues des espaces publics ébranle leur dignité et leurs droits et crée ainsi des obstacles pour accéder aux services de soins, aux prestations de santé, à la réduction des risques et à l’assistance sociale étatique. De tels déplacements sont donc diamétralement opposés à l’objectif revendiqué par la législation portugaise, à savoir le droit à la santé pour les usagers de drogues.
Dans les centres-villes où il y a beaucoup de tourisme, il y a une véritable volonté de mettre les drogués dans d’autres lieux. Ils s’en foutent de l’endroit où ils vont aller. Ce n’est pas du tout efficace parce qu’ils passent de quartier en quartier et tout le monde continue de consommer, mais c’est de plus en plus caché. Le risque est qu’à la longue ils ne verront plus du tout les consommations problématiques.
Stigmatisation, discrimination et pathologisation
A la stigmatisation morale s’ajoute également celle de la maladie : l’usage de drogue étant considéré comme une question sanitaire et non plus criminelle, le consommateur est devenu avant tout un malade. Consommer des drogues est de facto conceptualisé comme une maladie ou un désordre pathologique.
La stigmatisation ne va pas disparaître d’un coup de baguette magique. Pendant des années, nous avons été considérés comme des criminels. Par la suite, ils ont introduit une nouvelle stigmatisation : celle du désordre de la maladie et du trouble de santé mentale, qui pourrait être plus dangereuse voire aussi grave que la stigmatisation criminelle. Il est crucial de faire attention à cela car en définitive la stigmatisation demeure, tout comme les préjugés et l’étiquette que l’on donne à l’usager.
Cette nouvelle conception de l’usager comme malade est stigmatisante et affaiblit à la fois son autonomie et sa capacité à se prendre en main. Si les usagers sont considérés comme des malades, ils sont jugés comme étant incapables de prendre des décisions sensées au sujet de leur propre vie et d’être les propres témoins de leurs expériences de vie. Ceci a des conséquences et des implications quant aux droits humains des usagers de drogues, tout comme pour la philosophie des services et des soins de santé qui leur sont prodigués. Tout ceci aboutit donc à une politique de santé qui oblige les gens à se soigner et à n’envisager que des interventions médicalisées.
Avant on était des criminels, maintenant on est des malades. Même si je n’aime pas du tout le terme, je préfère quand même être vu comme un malade que comme un criminel.
Les services de Réduction des Risques (RdR) et de soins de santé
Avant la législation de 2001, les services de réduction des risques et de soins de santé étaient limités. Le partage de seringues usagées était fréquent : les services de soins ne donnaient pas d’accès à des seringues stériles dans le cadre de comptoirs d’échange. Le nombre de personnes atteintes par le VIH était élevé parmi les injecteurs. La législation a permis de mettre l’accent sur ce problème et d’impulser une politique pragmatique de RdR. Cela étant dit, des années plus tard, le Portugal n’a pas mis en place d’autres manières de réduire les risques, comme l’accès à la naloxone (un antidote de l’héroïne qui permet d’éviter les overdoses mortelles) ou la création de salles de consommation à moindre risques. Même si le pays a annoncé une ouverture prochaine de tels dispositifs, ils n’ont pas encore été mis en place.
La dissuasion obligatoire
Il existe au Portugal des centres de soin et d’accueil des usagers qui pratiquent l’inclusion et fournissent un support sans jugement. Les CASO en font partie. Cependant, un élément particulièrement interpellant du modèle portugais est la mise en place de comités de dissuasion. Si la possession de petites quantités de drogues est effectivement décriminalisée et qu’une fois pris par la police, les consommateurs ne sont plus arrêtés, accusés ou emprisonnés, la loi et la politique sont désormais centrées sur la pathologisation. Les usagers sont devenus des malades qu’il faut réhabiliter et dissuader de consommer des drogues. Ils sont à présent sous la supervision obligatoire d’un avocat et d’un travailleur social dans le cadre d’une Commission de Dissuasion de l’Addiction à la drogue. Le non-respect, même involontaire, de cette obligation entraîne une amende dont le montant, quoique faible, est plus lourd de conséquences pour les populations pauvres. L’usage de drogues entraîne encore par conséquent une intervention, qu’elle soit punitive ou médicalisée. Comme le souligne avec pertinence l’organisation CASO, il n’y a pas d’amendes pour les buveurs d’alcool…
Quand vous êtes pris, vous allez à la commission de dissuasion, et parfois vous êtes envoyé dans un centre de traitement, parfois vous avez une amende. Si vous n’allez pas à la commission de dissuasion, les sanctions peuvent être plus grandes. Par exemple, la première fois que vous êtes pris, si dans les six prochains mois vous n’êtes pas en situation de récidive, le procès- verbal est archivé. La seconde fois où que vous êtes pris, vous pouvez avoir une amende à payer ou faire du travail d’intérêt général .
De l’avis même de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, « [d]es sanctions punitives peuvent être mises en place, mais l’objectif principal reste d’examiner les besoins de traitement et de promouvoir un rétablissement durable ». Même si ces commissions sont préférables aux arrestations ou aux incarcérations, elles ne doivent pas être vues comme une victoire sans partage pour les antiprohibitionnistes. Ces tentatives de dissuasion de consommer des drogues sont nourries par des constructions stigmatisantes qui voient l’usager comme un malade, incapable de faire ses propres choix. Le Portugal continue donc d’exercer une politique de contrôle sur la vie des usagers de drogues. Cette pathologisation est toujours utilisée afin d’autoriser d’intolérables incursions dans la vie des usagers. Il est important de rappeler que c’est avec les mêmes justifications que l’on enferme, dans certains pays, des usagers dans des centres de désintoxication forcée. Au nom de la réhabilitation et du traitement, ces personnes sont détenues dans ces centres sans avoir eu droit à un procès, et sont souvent sujettes à des violences physiques et sexuelles, à la torture, aux traitements dégradants et au travail obligatoire.
Les usagers doivent prendre part aux décisions qui les concernent : « Rien à propos de nous, sans nous »
INPUD n’a cessé de répéter que les usagers doivent être inclus dans les décisions qui les concernent au premier chef ; non seulement dans la définition des politiques et législations relatives à leurs propres vies, leur santé, leur bien-être et leur vécu, mais aussi dans la mise en place, le suivi et l’évaluation de celles-ci.
Au Portugal, les militants en faveur des droits des usagers sont structurés en réseaux et bien intégrés dans le système de RdR. Les usagers de drogues contribuent de manière significative aux services et soins de santé dispensés à leurs pairs. C’est notamment le cas du CASO, qui siège par ailleurs dans diverses commissions liées aux politiques des drogues au Portugal. Malgré cet activisme permanent, la partie la plus marginalisée des consommateurs reste désengagée. Il est nécessaire de rappeler que la décriminalisation n’a pas permis une amélioration de la situation pour l’ensemble de la communauté. La plupart des usagers sont toujours harcelés, subissent la violence d’État et l’exclusion sociale, et n’ont pas le sentiment de vivre dans un contexte de décriminalisation. Malgré une organisation forte au sein de la communauté des usagers, dont on peut remarquer l’impact dans les centres de soins et de RdR, les organisations d’usagers n’ont pas systématiquement voix au chapitre dans le débat public ou dans la définition des politiques. Difficile de s’en étonner quand on sait que le discours portugais a clairement pathologisé l’usager de drogues en le qualifiant de malade. De telles constructions sapent complètement l’autodétermination et sont utilisées pour réduire au silence des communautés marginalisées, pendant que les experts et les professionnels parlent en leur nom.
Conclusions : la décriminalisation n’est pas suffisante
1) Les effets de la loi, des politiques et du discours portugais
La décriminalisation des usagers de drogues au Portugal a eu des impacts substantiels pour la santé et le bien-être des usagers de drogues, particulièrement en termes de mortalité. Mais ce n’est pas pour autant que nous devons donner une image d’Épinal de ce modèle car, comme nous l’avons montré précédemment, celui-ci est loin d’être parfait.
Premièrement, parce que cette criminalisation n’est pas totale mais seulement partielle. Transporter des quantités plus grandes que celles autorisées est toujours criminalisé, ce qui signifie que les personnes qui consomment des drogues sont toujours arrêtées par la police et éloignées de certains lieux. Par ailleurs, la prohibition n’a pas pris fin au Portugal. Même si la possession de petites quantités de drogues a été décriminalisée, les drogues qui sont achetées et consommées sont toujours produites dans un contexte de marché noir, ce qui implique une méconnaissance des produits que l’on y trouve. Et tant que les drogues ne seront pas régulées ni légalisées de manière encadrée, les consommateurs devront toujours se procurer leurs produits dans des zones dangereuses, en mettant en danger leur santé et leur sécurité. De plus, il faut savoir que les drogues sont toujours confisquées et détruites par la police. Si certains consommateurs sont décriminalisés, les drogues quant à elles, ne le sont pas.
Deuxièmement, le modèle portugais de décriminalisation n’a pas mis fin aux idées préconçues autour de l’usage de drogues et des usagers eux-mêmes. Les consommateurs connaissent toujours la violence et la discrimination autant de la part de la police, des centres de soins que de la société tout entière. Ceci est alimenté par la stigmatisation du toxicomane et une vision de l’usager comme criminel et dangereux. Parallèlement à cette image dévalorisante, le modèle portugais à fait passer l’usage de drogues de la criminalité à la maladie. Déjà considéré comme déviant et dangereux, le consommateur est vu à présent comme malade, incapable de prendre des décisions pour lui-même. Même si les usagers sont de plus en plus intégrés comme pairs-aidants dans les centres de soins et de RdR, ils ne sont pas complètement intégrés aux réflexions quant à la mise en place des politiques relatives aux drogues.
Troisièmement, malgré une politique de réduction des risques bien plus efficace et efficiente depuis l’introduction du modèle en 2001, la vision des usagers comme malades et incompétents a permis la mise en place d’une politique de l’abstinence. Ceux qui sont pris avec des produits illicites sont envoyés dans des commissions de dissuasion, doivent participer à des rendez-vous de dissuasion médicalisés pour encourager l’arrêt de la consommation ou accepter de payer une amende. Ainsi, les usagers de drogues continuent d’être les sujets d’un traitement forcé et involontaire, d’une injonction thérapeutique, même dans le cadre d’un modèle de décriminalisation, il s’agit d’une inacceptable violation de leurs droits humains fondamentaux.
2) La décriminalisation : le premier pas, pas le dernier
Même s’il est important de souligner les réelles avancées de cette décriminalisation partielle, il reste indispensable de ne pas rester aveugle à ses manquements, ses lacunes et ses effets pervers, ni aux discours stigmatisants qui l’accompagnent. Le modèle de décriminalisation partielle portugais est donc un premier pas, pas un point final.
Pour conclure, la décriminalisation doit simplement signifier ceci : pas de décriminalisation partielle, pas de commissions de dissuasion obligatoires, mais une décriminalisation totale des usagers de drogues en supprimant complètement la criminalisation, la pénalisation et la sanction de la législation et des politiques.
Bien plus qu’une décriminalisation, une légalisation et une régulation des drogues doivent être urgemment exigées. INPUD insiste sur le fait que la décriminalisation, la légalisation et la régulation doivent être accompagnées de l’arrêt de la stigmatisation, de la discrimination et de l’exclusion dont la majorité des usagers sont les victimes, au Portugal et partout ailleurs dans le monde.
1. https://inpud.net/is-decriminalisation-enough-drug-user-community-voices-from-portugal/
Auteur: Traduction et adaptation : Sarah Fautré et Olivier Taymans, respectivement coordinatrice et membre de la Liaison Antiprohibitionniste
Drogues: Toutes les drogues
Thématiques: Criminalisation des usagers, Dépénalisation, Légalisation encadrée, Législation, Prohibition, Promotion de la santé, Recherches/Etudes, Réduction des Risques